Lu dans l'Assembléé publique de l'Académie Royale des Inscriptions & Belles-Lettres, le 14 Novembre 1758. Avec un Précis du Mémoire de M. l'Abbé Barthélemy, sur les Lettres Phéniciennes; lu dans l'Assemblée publique de la même Académie le 12 Avril 1758.
Par M. De Guignes; de l'Académie Royale des Inscriptions & Belles-Lettres, Professeur au Collège Royal de France en Langue Syriaque, Censeur Royal, Interprète du Roi pour les Langues Orientales, & Membre de la Société Royale de Londres. Le Mémoire que je publie, n'est que le précis de celui que j'ai lu à l'Académie, qui est beaucoup plus étendu ; dans lequel, après avoir examiné l'origine des Lettres Phéniciennes, Hébraïques, Ethiopiennes & Arabes, je prouve plus en détail que les caractères Chinois, ne sont que des espèces de Monogrammes formés de trois Lettres Phéniciennes ; & que la lecture qui en résulte, produit des sons Phéniciens ou Egyptiens. J'y rapporte un grand nombre de preuves que je supprime dans ce précis. J'en ai trouvé depuis beaucoup d'autres , qui font de la dernière évidence. Telles font les pronoms & les particules qui servent à distinguer le pluriel d'avec le singulier, & tout ce qui constitue la Grammaire Chinoise. Tous ces mots sont encore les mêmes que ceux qui sont employés dans la Langue Phénicienne & dans celle des Cophtès, qui est un débris de l'ancienne langue Egyptienne. Mais je réserve toutes ces preuves, soit pour les Mémoires de l'Académie, soit pour un Ouvrage particulier, que je me propose de faire, & dans lequel, après avoir donné les principes & comme le rudiment des caractères Chinois, regardés comme caractères Egyptiens, j'appliquerai toute l'histoire
ancienne de la Chine à celle de l'Egypte. J'avoue que ce que je propose
ici paroîtra singulier. C'est un sentiment que j'ai été forcé
d'embrasser, convaincu par la nature des preuves qui se sont offertes en
foule. Plusieurs Savants ont dit avant moi, que les Chinois étoient une
colonie d'Egyptiens. M. Huet en particulier, qui a proposé cette
conjecture dans son Histoire du Commerce & de la Navigation des
Anciens, a cru que les grandes conquêtes d'Osiris & de Sésostris
avoient fait passer dans l'Inde & dans la Chine beaucoup
d'Egyptiens. Il s'est fondé sur une certaine conformité que l'on
apperçoit entre les usages des Egyptiens & ceux des Chinois.
Quelques Sçavans Anglois également frappés de cette conformité, ont
adopté le même sentiment ; mais ils ont avancé en même temps que les
Egyptiens venoient au contraire des Chinois, & que
Nòë, après le déluge, s'étoit retiré à la Chine, qui étoit devenue le
berceau des arts & des sciences : mais toutes ces conjectures pour
lesquelles on ne pouvoit apporter de preuves solides, étoient restées
dans l'obscurité.
Monsieur de Mairan a
renouvelle depuis peu le sentiment de M. Huet, & a examiné plus en
détail les mœurs des Chinois, pour en faire une comparaison avec
celles des Egyptiens : il a écrit sur ce sujet plusieurs lettres aux
Missionnaires Jésuites qui sont à la Chine.
(... p57) Chez presque tous les peuples du monde l'écriture n'est que la parole écrite. Les mots dont la quantité dans chaque langue est plus ou moins considérable, suivant que, la nation est plus ou moins éclairée, sont composés de syllabes dont le nombre est limité, parce qu'elles représentent les sons de la voix ; les syllabes peuvent se résoudre en un très-petit nombre d'éléments qui font communs à plusieurs, d'entre elles ; & c'est ainsi qu'à la faveur d'une certaine quantité de lettres, nous pouvons rendre toutes nos idées & tous les sons qui les expriment.
(... p57) Chez presque tous les peuples du monde l'écriture n'est que la parole écrite. Les mots dont la quantité dans chaque langue est plus ou moins considérable, suivant que, la nation est plus ou moins éclairée, sont composés de syllabes dont le nombre est limité, parce qu'elles représentent les sons de la voix ; les syllabes peuvent se résoudre en un très-petit nombre d'éléments qui font communs à plusieurs, d'entre elles ; & c'est ainsi qu'à la faveur d'une certaine quantité de lettres, nous pouvons rendre toutes nos idées & tous les sons qui les expriment.
Mais dans l'écriture Chinoise, chaque caractère est représentatif d'une idée, & et tous ces caractères le réduisent à trois éléments par leur position ou leur réunion, produisent de nouveaux caractères ; qui se distribuent en 214 classes ; c'est ce qu'on appelle, les clefs Chinoises : ces 214 caractères radicaux rapprochés, unis, entre lassés, forment tant d'autres combinaisons, qu'on en fait monter le nombre jusqu'à 70 ou 80 mille. On n'en sera pas surpris, si l'on fait attention que cette quantité renferme la somme des idées de toute une nation, & répond à la somme des mots employés dans les autres langues.
La langue des chinois ne suit pas une marche aussi savante que leur écriture ; composée d'un petit nombre de monosyllabes & de sons qui ne different dans la prononciation que par des sons, elle semble ne reconnoitre aucune règle, n’être assujettie à aucun principe. On n'y voit, ni conjugaisons ni déclinaisons : si l'on réunit deux caractères simples, le son avec lequel on exprimera le signe qui en résulte, n'aura point de rapport avec les sons qui conviennent à chacun des caractères radicaux. Il semble que tous les sons ont été attachés après coup aux signes qu'ils affectent, & que les seconds ont été inventés séparément, & sans relation avec les premiers. Mais, par quel hasard la langue Chinoise est-elle si barbare & si peu travaillée, pendant que le système de leur écriture parait si profond & si réfléchi? C'est un problème qui se résoudra bientôt de lui-même : je dois observer auparavant que plusieurs savants ont tachés d'analyser la Langue parlée des Chinois, & de la rapprocher des Langues Orientale ; mais que les plus grands efforts n'ont heureusement servi qu'à décourager ceux qui voudroient suivre la même route.
J'en tenois une toute différente depuis longtemps, & j'étais persuadé que l'écriture Chinoise renfermoit un mystère qui se déroboit à nos yeux. J'en étudiois les caractères , non tels qu'ils sont aujourd'hui, mais tels qu'ils étoient anciennement; car ils ont éprouvé des variations : les anciens caractères différent quelquefois des modernes par la simple configuration de leurs traits ; d'autres fois ils représentent les objets meme devenus méconnoissables dans les signes qui les ont remplacés. C'est ainsi, par exemple, que le caractère radical qui designe aujourd'hui une Tortue, n'étoit anciennement que lq figure meme de cet animal. De-là, il est aisé de conclure que plusieurs des caractères Chinois ont été dans l'origine des purs Hiéroglyphes, des signes représentatifs des objets ; & l'on apperçoit déjà la plus grande conformité entre l'écriture des Chinois & celle des Egyptiens. D'autres rapports entre ces deux peuples justifient cette idée ; mais quelle lumières pouvoit-il en résulter? les Egyptiens avoient l'écriture Alphabétique ; les Chinois paroissoient ne l'avoir point connue : les uns & les autres avaient des Hieroglyphes ; mais il n'étoit point prouvé qu'ils eussent les meme ; le hasard ne pouvoit-il pas produire les traits de ressemblance qu'on apperçoit dans les usages de ces nations ; & si l'on suppose une communication entre'elles, comment s'est-elle opérée? A quel temps faut-il le rapporter? Ces questions, qui en occasionnoient une infinité d'autres, épuisoient tour-à-tour mes conjectures ; lorsque, sans oser l'espèrer, j'apperçus un fil propre à me diriger dans les détours de ce labyrinthe.
En examinant le nouvel Alphabet Phénicien présenté à l'Académie par l'Abbé Barthelemy, j'y reconnus quelques lettres que j'avois déjà vues parmi les anciens caractères radicaux les Chinois. Telle étoient entr'autres, le Jod & l'Aleph. Le Jod Phénicien est formé comme un trident sans queue & placé obliquement ; c'est avec un signe pareil que les Chinois désignent la main ; & ce qu'il y a de singulier, c'est que le mot Jod en Phénicien, (II est prouvé actuellement par l'inscription que nous a donnée M.
l'Abbé Barthélemy, que la langue Phénicienne n'est autre chose que la
langue Syriaque) signifie aussi la main. Je fus frappé de ce rapport ; mais l'Aleph m'en fournit bien-tôt un second plus frappant encore. Chez les Phéniciens l'Aleph est
une ligne perpendiculair , coupée par deux lignes droites qui forment
un angle en se réunissant d'un côté : ce même caractère se trouve
précisément sous les mêmes traits, dans le même ordre, avec la même
valeur parmi les anciens caractères Chinois, C'est le premier de leurs
signes radicaux, comme l'Aleph est la premiere lettre dans l'Alphabet Phénicien : il désigne l'unité parmi les Chinois, comme l'Aleph la
désigne aussi parmi les peuples de l'Orient ; enfin chez les uns &
les autres il signifie encore la prééminence, & l'action de
conduire.
Autorisé par ces deux
exemples, jé me livrai avec ardeur à de nouvelles recherches. Je
soupçonnai qu'il existoit dans le sein même des Hiéroglyphes Chinois
de véritables Lettres qui, dépouillées de tous les traits qui les cachent
aux yeux, devoient produire un Alphabet fort ancien, & peut-être fort analogue à l'Alphabet primitif de toutes les
nations. Cet Alphabet n'est pas venu jusqu'à nous dans son intégrité ;
mais il doit subsister par parties détachées dans les divers Alphabets
Orientaux; & telle lettre qui s'est altérée ou modifiée parmi les
Hébreux ou les Arabes, a pû conserver son ancienne forme chez les
Phéniciens ou les Ethiopiens. Je plaçai donc tous ces Alphabets dans
autant de colonnes correspondantes, & pour être en état de comparer
leurs élémens avec les caractères Chinois, j'observai que la plupart des Lettres parmi les Orientaux avoient des
dénominations particulieres ; que le Beth, par exemple, signifie une maison, que le Daleth désigne une porte, que l'Ain signifie un œil, & que le Schin ou Sin désigne
une dent ; & me servant de ces dénominations comme d'autant de
données pour dégager l'écriture inconnue des Chinois, je trouvai que le
signe qu'ils employoient pour désigner une maison étoit absolument le
même que le Beth des Hébreux ; que le caractère avee
lequel ils exprimoient une porte, ressembloit au Daleth des Hébreux & des Phéniciens ; que le signe Hyéroglyphique de l'œil n'étoit pas distingué de l'Ain soit
Phénicien, soit Ethiopien; enfin, que les dents étoient représentées
dans l'écriture Chinoise par une mâchoire garnie de pointes, symbole
qui a les plus grands rapports avec le Schin Hébreu, Samaritain & Phénicien. De nouvelles combinaisons me donnerent
de nouvelles Lettres, & je voyois mon Alphabet se développer
insensiblement à mes yeux.
Cependant, j'étois arrêté par une réflexion. La
découverte de ces Lettres prouvoit à la vérité une sorte de
communication entre les Chinois & les autres peuples Orientaux ;
mais elle ne prouvoit point que ces Lettres eussent été communiquées
comme écriture alphabétique. Monsieur Varburton , avoit pensé que le
premier alphabet avoit emprunté ses élémens des Hiéroglyphes mêmes,
& M. l'Abbé Barthélemy avoit mis cette excellente théorie dans un
plus grand jour, en plaçant sur une colonne diverses lettres Egyptiennes, en correspondance avec les Hiéroglyphes qui les avoient produits (Recueil d'Antiq. de M. de Caylus. Tom.I. page 65).
On pouvoit donc présumer que les Egyptiens avoient communiqué aux
Chinois les caractères que je venois de découvrir, mais qu'ils les
regardoient eux-mêmes alors comme des signes Hiéroglyphiques, &
non comme des lettres proprement dites. Pour m'en éclaircir ; je
résolus d'analyser les caractères Chinois qui renfermoient plusieurs de
ces lettres. Si leur réunion formoit un mot Egyptien ou Phénicien, on
sent aisément toutes les conséquences qui devoient résulter de cette
analyse.
Je commençai par le
caractère avec lequel les Chinois désignent le mot Père ; & faisant
abstraction du son qu'ils donnent à ce caractère, je le trouvai composé
d'un I & d'un D , & je lus Jod. Or dans la langue Cophte qui nous a conservé quantité de mots Egyptiens, jod, signifioit Père. Je pris l'ancien caractèrie Chinois qui désigne un amas
d'eau, & j'y trouvai un I & un M, c'est-à-dire, le mot Iam,
dont presque tous les Orientaux se servent pour
désigner la mer. J'en pris un troisième avec lequel les Chinois
désignent un ennemi. Il est composé d'un I & d'un N, c'est le mot Ian qui en Hébreu & en Phénicien, signifie combattre. J'en apperçus un quatrième,qui me parut formé d'un I & d'un F, c'est un des Hiéroglyphes qu'emploient les Chinois pour désigner la main. Il s'agissoit de savoir dans quelle Langue le mot Iof avoit
cette signification. Je n'avois point alors de Dictionnaire Copte, mais
à peine l'eus-je parcouru, que j'y trouvai le même mot avec la même
valeur.
Des résultats si heureux & si prompts surpassoient mes
espérances. La surprise & l'intérêt croissoient à chaque instant.
Cependant je doutois encore ; quelquefois je revenois sur mes pas ,
& j'àssurois ma marche ; d'autres fois je craignois d'être réduit
par des apparences trompeuses , & je ne sentois pas la force de croire des faits qui ne
paroissoient pas dans l'ordre des choses possibles. Je n'avois analysé
que des Hiéroglyphes composés de deux lettres. Je pensai que si je
pouvois expliquer de la même maniere ceux qui étoient formés de trois
lettres ou de trois racines, je trouverais enfin le secret de me
convaincre moi-même , & de me rendre à l'évidence.
Je consultai de nouveau les anciens caractères Chinois. Le caractère Hia qui signifie rompre , briser, n'est qu'un groupe composé d'un Schin & de deux Daleth, ce qui produit le mot Schadad ; qui en Hébreu & en Phénicien signifie dévaster, briser.
Le caractère Kiun, Prince, est formé d'un F & de deux I, ce qui fait le mot Phii. Or
les noms de plusieurs Rois d'Egypte se terminoient en Phis, comme
Amenophis, Aphophis, Saophis, Sensaophis, Biophis, &c , qu'il faut
rendre par les Princes Ameno, Apho, Sao, Sensao, Bio , &c.
Je changeai ensuite de méthode. Je pris les trois racines du mot Iada qui en Phénicien signifioit, savoir, connoître ; ces racines sont un Iod, un Daleth & un Ain. La première quant à sa dénomination grammaticale signifie, comme je l'ai dit, la main ; la seconde une porte, & la troisième un oeil. Je
choisis les trois anciens caractères Chinois qui désignent l'oeil, la
porte & la main ; je les réunis, & je vis paroître un
Hiéroglyphe en usage parmi les Chinois, & qui signifie examiner, avoir.
- Une foule
d'opérations semblables ont été justifiées par le même succès, &
de-là résulte pour la littérature Chinoise Un phénomène étrange, &
pour l'histoire des anciens peuples un nouvel ordre des choses, des systèmes
nouveau & plus conformes à la vérité. Un peuple en possession
depuis une longue fuite de siècles d'une langue qu'il ne connoît pas ;
cette langue enveloppée de traits qui la défigurent , & affectée de sons qui lui font étrangers; une écriture alphabétique convertie en signes hiéroglyphiques l'Egypte & la Phénicie liées avec la Chine par les rapports les plus sensibles ; les lettres, les langues, les annales des plus anciennes nations s'enchaînant les unes aux
autres, & concourant toutes à l'effet d'une harmonie générale.
Voilà quelques traits d'un tableau qui s'offre à nos regards & dont
la suite de ce Mémoire justifiera de plus en plus la réalité.
Je n'examinerai pas ici de
quelle maniere s'est faite la communication entre l'Egypte & la
Chine : quelque distance qui les sépare, le commerce a pû les rapprocher, & l'on sait par les témoignages des Historiens & par les monumens encore subsistants, que les Egyptiens & les
Phéniciens s'étoient établis autrefois sur toutes les côtes de la mer
des Indes. Je n'examinerai pas non plus si les mots Phéniciens cachés
dans la langue écrite des Chinois faisoient partie de l'ancienne langue
Egyptienne, ou s'ils prouvent seulement qu'il avoit passé dans la Chine
des Phéniciens à la suite des Egyptiens. L'essentiel est d'éclaircir
l'objet qui m'occupe, & pour le rendre plus sensible, je ferai la supposition suivante : Des François abordent au loin
dans une ile habitée par des Sauvages, qui, surpris de trouver entre
les mains de ces étrangers, un moyen de se communiquer les idées par
écrit, leur demandent un secret si important ; les François , par des
raisons particulières ou dans l'impossibilité de rendre les sons d'une
langue barbare avec les élémens de leur alphabet, écrivent en présence
de ces Sauvages le mot pere, & leur disent : Toutes les fois que vous aurez ce signe matériel sous vos yeux, vous aurez l'idée de père, & vous le rendrez par le son qui l'exprime dans votre langue. Pour
tirer un plus grand parti de cet exemple, supposons encore que la
langue Françoise, en cela conforme à plusieurs
langues Orientales, supprime souvent les voyelles ; que tous ses mots soient
composés de deux ou trois consonnes, & qu'en l'écrivant on soit dans
l'habitude de grouper ces consonnes ; alors pour écrire le mot père , il suffira de tracer un P & une R ; le mot fils fera représenté par une F une L mises à côté l'une de l'autre avec un S au-dessous.
Les Sauvages rassembleront toutes ces masses de lettres, s'en serviront
comme des signes hiéroglyphiques, en altéreront insensiblement
plusieurs traits, & feront de nouvelles combinaisons à mesure que le
nombre de leurs besoins & de leurs idées augmentera ; supposons
enfin que quatre mille ans après, d'autres Européens reviennent dans cette ile, ils y trouveront d'abord une écriture & une langue
absolument étrangères. Mais quelle sera leur surprise, lorsqu'en
remontant à l'origine de cette écriture dénaturée, ils y découvriront
les ruines de la langue Françoise, & des lettres en usage dans toute
l'Europe. Telle est néanmoins la singularité que nous présente
récriture Chinoise. C'est ainsi que les lettres & la langue
Egyptienne sont devenues à la Chine les instrumens passifs d'une
nouvelle langue, & s'y sont perpétuées dans le silence & dans
l'obscurité.
Nous osons pénétrer dans ces ténèbres pour en faire sortir la vérité, &
déjà s'offrent à nous de nouvelles relations entre l'Egypte & la
Chine. Les Egyptiens avoient trois sortes d'écritures ; l'épistolique
composée de lettres alphabétiques ; l'hiéroglyphique où , l'on
représentoit les objets mêmes ; & la symbolique où l'on se
contentoit de les exprimer par des métaphores & des allégories. Nous
avons vû jusqu'à présent des lettres alphabétiques dans l'ancienne
écriture Chinoise ; on y découvre plus aisément encore l'écriture
hiéroglyphique. Le Soleil y est représenté par un cercle, la Lune par
un, disque, les poissons, les tortues, les serpens, les grenouilles,
les souris & tant d'autres
animaux par ía peinture même de ces objets. Je n'entrerai pas à cet
égard dans un plus grand détail, parce que chez tous les peuples du
monde, l'écriture hiéroglyphique a dû procéder de la même manière ; mais
je tire un argument invincible de l'écriture symbolique, dont les
Chinois ont aussi fait usage, & qui a dû varier chez toutes les
Nations, parce qu'elle n'est fondée que sur des métaphores & des allégories qui varient suivant la
nature du climat, la diversité des animaux, & des plantes, la
différence des usages & du caractère des peuples. Or, nous voyons souvent sur les monuments
Egyptiens une ligne horizontale surmontée d'une boule. Ce signe
symbolique dans l'écriture Chinoise signifie très-haut, très-élevé & c'est
l'épithète qu'on donne à la Divinité. Parmi les Chinois une aile
éployée, signifie le ministre d'un Prince ; & le bonnet, désigne une
grande charge dans l'Etat. Ces deux symboles sont retracés plusieurs
fois sur les monuments d’Égypte ; la haine s'exprimoit chez les Égyptiens
& chez les Chinois par deux animaux antipathiques. Horus-Apollo dit
que les Egyptiens.pour représenter une bataille, peignoient deux mains
dont l'une tenoit un bouclier & l'autre un arc. Les Chinois, pour
représenter une bataille, peignent deux mains & un arc ; & pour
désigner un soldat ils représentent deux mains, une flèche & un
arc. Enfin parmi les uns & les autres, un cercle avec un petit animal
au milieu étoit le symbole du Soleil.
J'ai rassemblé beaucoup d'autres exemples, & si j'avois eu du temps & des
secours, j'en aurais rassemblé un plus grand nombre encore, mais je
ne les aurois pas moins supprimés ; car si mon sentiment n'est pas
encore suffisamment prouvé, il ne le sera jamais ; & s'il laisse
encore des doutes dans l'esprit, je ne dois me plaindre que de ne 1'avoir pas exposé avec assez de clarté.
Mais, dira-t-on, est-il possible que les Chinois
n'eussent pas conservé dans leurs annales quelques traces, quelques
traditions d'un fait si extraordinaire. Je réponds que je les avois
toujours lues pour y voir tout ce que les Chinois y voient eux-mêmes
& non pour y découvrir un système qu'ils ignorent, & dont
je ne pouvois soupçonner l'existence: j'ose me promettre que dans une
lecture plus réfléchie, j'y puiserai de nouvelles lumières ; & pour
garants de cette promesse je vais citer deux faits tirés des livres
Chinois & que je me suis rappellé dans l'instant même où mes
idées commençoient à se développer. Le premier, c'est que depuis le
commencement de l'Empire, il subsiste à la Chine une Nation sauvage
& barbare qui
s'est retirée dans les montagnes, d'où elle fait des courses dans les
environs. Quels sont ces peuples? Ils sont inconnus aux Chinois. Ne
peut-on pas les regarder comme un reste des anciens sauvages du pays
qui, à l'arrivée des Egyptiens, se sont réfugiés dans les montagnes où
ils ont conservé jusqu'à présent leur indépendance. Le second fait est
beaucoup plus précis, & répond directement à la question proposée.
Des Historiens Chinois rapportent qu'il y a des peuples dans le pays de Tatsin qui ont une origine commune avec les Chinois ; par le mot Tatsin les Chinois
entendent tous les pays situés à l'occident de la mer Caspienne, tels
que la Syrie, la Phénicie & l'Egypte. Voilà donc une tradition qui
dépose en faveur de mon sentiment.
Mais dans quel temps, ajoûtera-t'on, s'est faite la communication entre l'Egypte
& la Chine ? Je ne réponds que par une réflexion, mais je ne crains
pas, de dire qu'elle est de la plus grande importance, & qu'elle
mérite la plus grande attention. Vingt-deux familles de Souverains
connues sous le nom de Dynasties,ont successivement gouverné la Chine.
On place à la tête de la première Dynastie le prince Yu, dont le règne commence vers Tan 2207 avant J. C. La chronologie Chinoise remonte infiniment plus haut (Le règne de Fohì n'est pas certain , chez les Chinois ; plusieurs même le retranchent de 1a liste des Empereurs)
; mais comme il n'y a point de liaison entre ses parties, je ne
m'attache qu'à l'époque précédente. Les Princes de la première Dynastie
sont, suivant l'ordre de leur succession, Yu, Ki, Kang, Tchong, &c. Ces
noms sont de la langue parlée des Chinois, & n'ont point de rapport
avec la langue écrite. J'ai donc analysé, suivant mon Alphabet, les
anciens caractères qui représentent ces noms, & j'ai trouvé : Dans
celui de Yu, le mot Men ; c'est Ménès, Roi de Thèbes en Egypte.
Dans celui de Ki, le mot Iadoa ; c'est Ithoès, successeur de Ménès,.
Dans celui de Kang,, le mot Iabia ; c'est Diabiès., 3e. Roi de Thèbes,
Dans celui de Tchong ,Phenphi, c'est: Penphos, 4e. Roi de Thèbes , &c ainsi des autres,
Il suit
de-là que les Chinois en recevant les usages des Egyptiens , se sont
aussi approprié leurs annales ; il suit qu'ils ont placé à la tête de
leurs Dynasties, des Princes
qui regnoient en Egypte , & que la communication entre les deux
Nations s'est faite après le temps de Ménès. Cette conséquence est
confirmée par l'histoire des Chinois. Sous Yao, qui regnoit ayant Yu,
c'est-à,-dire, avant Ménés, toute la Chine, dit-on,
étoit connue, tous ses habitants étoient policés ; quinze cents ans
après, la plus grande partie de la Chine étoit barbare ; c'est une
contradiction manifeste qui ne s'explique qu'en regardant Yao comme un prince Egyptien : la colonie Egyptienne ne paroît être venue à la Chinée
que vers l'an 1122 avant J. C, Alors
on voit un Prince qui la partage entre un grand nombre de Généraux pour
les récompenser. Cas Généraux s'établissent dans les Provinces,
rassemblent les peuples, & les
soumettent à l'ordre : ne connoît-on pas à ces traits, l'origine &
la formation d'un Empire? Ce n'est pas tout encore : l'ancienne année
Chinoise est la même que celle des Egyptiens. Les Chinois donnent au
fleuve Hoang le nom de fleuve noir, sous lequel les Egyptiens désignent le Nil ; les grands travaux pour
arrêter les débordémens du fleuve noir, se font également à la Chine
& en Egypte, & sont accompagnés par-tout des mêmes
circonstances.
Ces faits & tant d'autres que je pourrois y
joindre, prouvent clairement, qu'une partie de l'histoire Egyptienne,
est en dépôt dans les annales Chinoises, & qu'on ne peut l'en
débarrasser que par un travail long & pénible. Il s'agit en effet
d'analyser les caractères Chinois qui renferment des lettres
alphabétiques , d'en composer une espèce
de
Dictionnaire Egypto-Phénicien, & de connoittre par ce moyen les noms
de plusieurs Princes Egyptiens , & le temps précis où l'Egypte a
policé la Chine. Il s'agit encore de dépouiller tous les caractères
hiéroglyphiques & symboliques
Chinois, de les ranger par classes, de les rapprocher des hiéroglyphes
& des symboles gravés sur les obélisques & sur les autres
monuments d'Egypte. Qui sait jusqu'où pourra nous conduire la lumière
qui nous éclaire? Qui sait si nous ne touchons pas au moment où bien
des mystères vont se développer ? Je n'affirme rien. Cependant la langue
des Hiéroglyphes inconnue depuis si long-temps en Egypte est encore
vivante à la Chine, & j'ai tant de preuves que c'est de part &
d'autre la même langue... Mais, je le répète, je n'affirme rien, &
je ne sais que trop, combien de si grandes espérances pourroient
affoiblir les vérités que j'ai annoncées dans ce Mémoire. Me fera-t-il
du moins permis de proposer la question suivante?
Que deviennent les
Chinois, & cette durée immense qu'ils
attribuent à leur Empire, & toutes ces divisions en temps
historique, incertain & fabuleux, & tous ces ouvrages qu'on a
faits pour établir leur chronologie, & tous ceux qu'on a faits pour
la détruire ; & toutes les preuves qu'on en tire contre les livres
de Moyfe, & tous les systèmes qu'on a produits pour défendre le
témoignage de ce Législateur ; & cette sagesse prématurée, &
cette supériorité en toutes choses qu'on accorde aux Chinois, & tout
ce qu'on a dit & tout ce qu'on diroit encore sur un sujet si
important ; tout cela disparoît, & il ne reste plus qu'un fait simple
; c'est que les anciens Sauvages de la Chine, ainsi que ceux de la
Grèce, ont été policés par les Egyptiens, mais qu'ils l'ont été plus
tard, parce que la Chine est plus éloignée de l'Egypte que la Grèce.
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